Chérie, je pars en forêt cueillir la chimiothérapie pour mon cancer !

De nombreux patients craignent la chimiothérapie. Et plus globalement tous les effets néfastes des traitements anticancéreux, qui sont souvent assez bien connus du grand public.

À juste titre, puisque les effets secondaires, quoi que bien moins importants qu’auparavant[1], restent un vrai problème. Ceux qui les dérangent le plus ne sont d’ailleurs pas forcément les plus dangereux : les patients appréhendent surtout les nausées & vomissements, la chute des cheveux, la fatigue. C’est ça qu’ils vivent au quotidien, et ce que leur entourage voit, mais il y a aussi (plus tardivement et plus insidieusement) une toxicité vis-à-vis des organes nobles, notamment cœur et reins (organes vitaux s’il en est). Et le classique mais néanmoins ironique cancer secondaire, induit par le traitement anticancéreux…

Mais ceci n’est pas le sujet de cet article.

On comprend alors, en voyant l’état de délabrement dans lequel certains patients cancéreux finissent, que certaines personnes aient peur de ces traitements, et qu’elles essayent de se tourner vers d’autres solutions, si possible au moins aussi efficaces mais sans effets secondaires.

Ces gens-là accusent les chimiothérapies et les radiothérapies d’être inefficaces et délétères, et se tournent vers la nature, la spiritualité.

Mais ceci n’est pas non plus le sujet de cet article.

Je reviendrai un jour sur les traitements dits « alternatifs » au cancer. Ces traitements « non chimiques, sans effets secondaires, et bien plus efficaces que toutes ses saloperies que les laboratoires nous refilent pour se faire du fric ». Ces sujets-là méritent notre intérêt puisqu’ils tuent des patients.

Mais alors, quel est le sujet de cet article ?

Le voilà : si l’on se penche sur ces « affreuses chimiothérapie » qui rien que dans leur nom montrent bien qu’elles ne sont que des produits chimiques (donc toxiques), on se rend compte qu’il y a quelques problèmes.

1er problème : affirmer que ce qui est naturel est bon et ce qui est synthétique est mauvais est une vision naïve et fausse de la réalité.

2e problème : distinguer ce qui serait « naturel » et ce qui serait « chimique » n’a aucun sens et n’est d’ailleurs pas possible en pratique.

3e problème : parmi les substances de chimiothérapie, certaines peuvent se cueillir en forêt, et sont donc sans l’ombre d’un doute parfaitement naturelles.

 

Les alcaloïdes de la pervenche.

La pervenche de Madagascar (Catharanthus roseus), jolie fleur mauve malgache, contient de très nombreux alcaloïdes. De ses feuilles, on peut ainsi par exemple extraire la vinblastine et la vincristine, puissants poisons du fuseau mitotique. Ces poisons, utilisés à la bonne dose et associés à d’autres molécules, peuvent traiter certains cancers (par exemple le myélome ou le lymphome).

À noter que les quantités de vincristine et de vinblastine sont très faibles, et la production de traitements nécessite donc beaucoup de feuilles. Qu’à cela ne tienne ! La catharanthine et la  vindoline, précurseurs naturels de ces substances, sont présentes en assez grande quantité dans les feuilles, et l’on peut donc, à partir d’elles, former plus de produits actifs.

 

Les taxanes.

Vous connaissez peut-être l’if, un arbre courant en Europe et en Amérique du Nord, qui a cette particularité d’être particulièrement toxique. Les propriétaires de chevaux savent qu’il ne faut pas attacher un cheval à proximité d’un if, de peur qu’il n’en mange les épines et ne meurt.

Parmi toutes les substances toxiques que contient l’if de l’Ouest (Taxus brevifolia, présent en Amérique du Nord), il y a le paclitaxel, présent dans l’écorce.

Extrait, il est utilisé dans certains cancers (par exemple du sein). Il s’agit également d’un poison du fuseau mitotique.

Les quantités nécessaires à la médecine n’étant pas vraiment compatibles avec le nombre d’ifs de l’Ouest et son délai de maturité, on a cependant découvert dans les feuilles un autre produit similaire, le docétaxel.

 

Autres exemples.

Les anthracyclines : ces substances sont naturellement produites par des bactéries du genre Streptomyces[2].

La bléomycine : également produite par des bactéries du genre Streptomyces.

Étoposide : pas directement extrait d’une plante, c’est tout de même un dérivé de la podophyllotoxine qui est produite par une herbacée du genre Podophyllum.

 

Je m’arrête là. À côté de cela, il existe d’autres substances de chimiothérapie qui sont effectivement des produits synthétiques obtenus en laboratoire sans la moindre inspiration naturelle.

Mais tout de même : certaines chimio sont parfaitement naturelles. On peut même parler de phytothérapie. Certains patients ne reçoivent ainsi que des extraits naturels de plantes.

C’est surtout le terme de « chimiothérapie » qui fait peur. Il y a « chimique » dedans. Mais en réalité, le terme désigne, à la base, tout traitement par des substances[3], par opposition à des traitements par des rayons X (radiothérapie), par des cures thermales (balnéothérapie), etc.

 

Conclusion.

Il faut d’abord le dire, la nature a fourni à l’Homme la quasi-totalité des traitements médicamenteux qu’il utilise. Presque toutes les molécules utilisées en médecine sont naturelles ou sont des dérivés de produits naturels.

Les molécules issues de la chimie pure sont rares. Et ce ne sont pas les plus toxiques, loin de là.

Pour tout vous dire, les poisons les plus puissants que l’on connaisse sont tous parfaitement naturels : toxine botulique, cyanure, amatoxines, etc., toutes ses choses-là ne sont pas des inventions mais des découvertes de l’Homme.

La nature est une inépuisable source de traitement, y compris pour la fameuse « médecine conventionnelle » à qui on reproche de ne pas être naturelle. Encore aujourd’hui, de nombreuses recherches portent sur des composés issus du monde animal ou du monde végétal.

En fait, la seule chose qui, bien souvent, distingue ces traitements des traitements dits « naturels », ce sont les méthodes de production, industrielles et non pas artisanales. Mais l’avantage de la production industrielle est tout même une production plus importante et surtout un contrôle précis des quantités et une grande pureté des produits finis.

En fait, la différence, c’est qu’en buvant une tisane de plantes, on ne sait absolument pas quelle quantité de principe actif on ingurgite, et on ne sait absolument pas quelles autres substances l’accompagnent.

 

[1] La radiothérapie en est le meilleur exemple : l’utilisation de rayons de haute énergie (plus pénétrants) puis la conformation 3D (permettant un meilleur ciblage) ont permis de réduire drastiquement les mutilantes lésions cutanées qui étaient presque systématique dans, par exemple, le traitement du cancer du sein. Il en va de même pour la chimiothérapie : des produits de moins en moins toxiques, mais aussi de plus en plus efficaces (ce qui permet de réduire les doses, et donc les effets secondaires).

[2] Pour rappel, la quasi-totalité des antibiotiques nous ont été fournis par des bactéries ou par leurs ennemis naturels, les champignons microscopiques.

[3] Le terme est encore actuellement employé dans ce sens en psychiatrie.

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